Résumé de l'article de Laurence Granchamp

La colonisation est toujours un rapport entre deux espaces dotés d’organisations sociales différentes, dont l’une s’emploie à prendre le contrôle de l’autre. Et cette prise de contrôle passe très largement par les pratiques spatiales, via la mise en place de réseaux d’infrastructures qui vont organiser les flux économiques et démographiques selon d’autres modalités et d’autres finalités que celles qui préexistaient.

La présence d’un espace perçu comme « vierge » de la part des colonisateurs est particulièrement propice à cette ignorance, qui résulte en des projections utopiques où politiques et aménageurs se prennent à rêver les fondations d’une société nouvelle, fondée sur de nouvelles bases. Or, l’utopie est une violence faite aux lieux et à l’histoire. Et quand bien même elle rêve d’une société plus égalitaire, elle n’applique pas cette égalité à tous. C’est en tout cas ce qu’illustre le cas de l’Amazonie brésilienne. De plus, toute projection n’est que le reflet de la société qui l’engendre. C’est également ce que nous mettrons en évidence en nous penchant sur l’urbanisme rural qui avait été pensé par l’Institut national de la colonisation et de la réforme agraire brésilien au début des années 1970, comme un outil central d’organisation des nouveaux territoires ouverts à la colonisation agricole.

Ma contribution présentera un cas limite de ville coloniale, puisqu’il s’agit d’une colonisation interne. Toutefois, la frontière agricole amazonienne présente des traits communs avec bien d’autres situations coloniales. La mise en perspective de cet espace et son devenir, à partir de l’histoire de ses villes, permet de mettre en évidence les processus sociaux qui ont transformé les projections utopiques initiales. Différentes formes d’invisibilité sont identifiables : l’invisibilité de la nature dans la projection initiale, étroitement liée à l’invisibilité des groupes amérindiens ou plus largement des autochtones, mais aussi l’invisibilité de la ville elle-même selon les catégories scientifiques ou administratives employées pour la définir.

Portées par un projet fondamentalement moderniste et « développementiste », dans une société qui semble avoir fait de l’urbanité une valeur cardinale, ces villes sont aujourd’hui plus que jamais le théâtre de tensions sociales où les enjeux de reconnaissance des catégories historiquement dominées telles que les paysans et les amérindiens, se mêlent étroitement aux enjeux de protection de la nature.

Retour