Résumé de l'article d'Aurélie CHONE

        Dans l’optique de la géographie de la littérature, cet article se propose d’analyser la façon dont les métropoles indiennes sont représentées, construites et imaginées dans un corpus de récits de voyage germanophones publiés entre 1880 et 1930, c’est-à-dire en pleine période coloniale. Selon le géographe britannique Derek Gregory, qui se réfère aux travaux d’Edward Said et de Michel Foucault, les « géographies imaginées » sont « des paysages complètement idéologiques, dont les représentations sont liées à des rapports de pouvoir. » Notre étude des métropoles indiennes comme paysages urbains idéologiques vus/lus par les voyageurs germanophones s’appuie sur la métaphore de la « ville-texte », célèbre depuis les travaux de Walter Benjamin. Entre 1880 et 1930, la métropole indienne apparaît au voyageur germanophone comme un texte dont les signes ne sont pas toujours visibles/lisibles. Ces signes sont d’abord brouillés par l’expérience vécue de l’espace urbain : un réseau complexe de sensations (de chaos, de promiscuité, de vitalité, d’exotisme …) génère une ambiance particulière, un genius loci souvent insaisissable. Ensuite, les signes du (con)texte culturel de la ville sont difficiles à déchiffrer tant la perception urbaine des voyageurs est dominée par le mode de l’étrangeté. Le texte de la ville indigène ne correspond pas aux grilles de lecture occidentales reposant sur un ordre géométrique rationnel. Enfin, les signes de la métropole sont enfouis sous les « débris d’empires mondiaux » (Bernhard Kellermann, Der Weg der Götter. Indien/Klein-Tibet/Siam, Berlin, Samuel Fischer, 1929) que certains auteurs du corpus s’efforcent de déblayer pour pouvoir lire à nouveau l’histoire antique, reconstruire un passé perdu et retrouver un substrat « authentique » que la façade de la puissance coloniale avait caché. Mais cette authenticité ne relève-t-elle pas du mythe, du fantasme ou d’une projection imaginative ? Les voyageurs ne restent-ils pas prisonniers d’une perception esthétisante de la métropole indienne, de ce que l’on pourrait appeler un « impérialisme esthétique » (Wolfgang Reif)? Nous exposerons d’abord quelques représentations de la cité coloniale conçue par les planificateurs, avant d’aborder le texte moins visible/lisible de la ville à travers l’expérience vécue des voyageurs. Nous montrerons ensuite en quoi l’expérience des métropoles indiennes évolue, sur la période considérée, de la perception d’un « paysage mémoriel » à celle d’un lieu emblématique de l’oppression britannique.

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